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Pourquoi la privatisation de la FDJ comporte des risques sur la prévention de l’addiction

Observateurs et associations de lutte contre l'addiction au jeu mettent en garde contre les dangers d'une recherche du profit à tout prix par des actionnaires privés.

Alors que l’Etat se désengage du capital de la FDJ, observateurs et associations de lutte contre l’addiction au jeu mettent en garde contre les dangers d’une recherche du profit à tout prix par des actionnaires privés.

L’Etat semblait garant d’une stratégie de « jeu responsable », en détenant 72% du principal opérateur, mais au terme du processus de privatisation lancé jeudi, il n’en aura plus que 20%, et les acteurs de la prévention de l’addiction au jeu ne cachent pas leurs craintes.

« La recherche de la croissance du chiffre d’affaires et la protection de l’addiction au jeu sont antagonistes », prévient Jean-Michel Costes, secrétaire général de l’Observatoire des Jeux (ODJ).

« Augmenter le chiffre d’affaires, c’est augmenter les dépenses des joueurs. Or, il y a une corrélation nette entre dépenses de jeu et problèmes de jeu », résume-t-il.

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Actuellement, le jeu dit « problématique » touche environ 5% des joueurs, soit un peu plus d’1,2 million de personnes, selon l’ODJ. Parmi elles, 223.000 pratiquent un jeu excessif et pathologique, et un million présentent un risque « modéré ».

« Ces joueurs problématiques sont minoritaires, mais ils génèrent 40% du chiffre d’affaires des jeux. On estime que pour chaque point de pourcentage de progression du chiffre d’affaires de la FDJ, on accroît d’environ 1.000 le nombre de joueurs pathologiques », souligne Jean-Michel Costes.

Les jeux de tirage type Loto ou Euromillions, au faible pouvoir addictif, ne sont pas ceux qui suscitent le plus d’inquiétude. « Le noeud du problème, ce sont les jeux de grattage », estime Armelle Achour, présidente de l’association SOS Joueurs.

Entre 2010 et 2018, son association a vu la part des joueurs demandant de l’aide pour ces « jeux de loterie instantanée » -qui représentaient en 2018 plus de 48% des mises enregistrées par la FDJ- bondir de 14,7% à 32,5%.

Des jeux sous surveillance

Ses « grandes craintes » autour d’une privatisation s’incarnent dans le succès du jeu Cash, « dont les ventes ne font que croître et se répercutent dans l’addiction ».

Dans un souci de modération, la FDJ a abaissé à deux reprises -« malheureusement sans vraiment d’effets », relève Mme Achour- le taux de retour joueur (ratio entre la somme restituée au joueur et celle qu’il a engagée, qui mesure la fréquence de gains) de ce jeu.

En 2014, la FDJ avait même retiré le jeu Rapido, décrié car source de jeu compulsif. « Avec des actionnaires privés, il n’est pas sûr qu’on veuille freiner sur ces jeux hyper rentables, qui sont aussi les plus addictogènes », redoute Armelle Achour.

L’Etat a affiché sa volonté de renforcer la régulation. Au 1er janvier, l’Agence de régulation des jeux en ligne (Arjel) sera remplacée par l’Autorité nationale des jeux (ANJ), aux pouvoirs étendus à l’ensemble du secteur (loteries, grattage, courses hippiques, paris sportifs, jeux en ligne…), exception faite des casinos qui restent sous contrôle du ministère de l’Intérieur.

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Ses modalités, fixées par le gouvernement dans une ordonnance et deux décrets, n’ont toutefois pas encore été débattues au Parlement.

« On a l’impression d’une précipitation, alors que tout le monde reconnaissait que les grands principes de régulation devaient être posés dans la loi avant de privatiser », déplore le député de la Loire Régis Juanico (PS), auteur de deux rapports sur les jeux. 

« Stéphane Pallez (actuelle PDG de FDJ, ndlr) va rester. On peut supposer que la politique de jeu responsable et les contrôles internes existants vont continuer (…) Mais il faudra rester vigilant sur toute expérimentation ou autorisation de nouveaux jeux », estime l’élu.

Les associations aimeraient également voir l’ANJ limiter les effets « dévastateurs », selon Armelle Achour, de la publicité sur les joueurs vulnérables.

« Pour tous les autres biens qui procurent du plaisir à une majorité des gens qui le consomment mais qui génèrent aussi un coût social élevé en raison de l’addiction, comme le tabac ou l’alcool, une des premières choses qu’on fait, c’est d’interdire ou réglementer la publicité », souligne Jean-Michel Costes: « Mais pour les jeux d’argent, il n’y a quasiment aucune régulation de la publicité ».