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Vilmorin & Cie : « Nos semences apportent des solutions aux enjeux de souveraineté alimentaire des pays »

Avec la guerre en Ukraine et l’accélération du réchauffement climatique, les risques d’une crise alimentaire mondiale sont forts. Franck Berger, directeur général délégué de Vilmorin & Cie nous explique comment les semences du groupe issues de sa recherche apportent des solutions. Il fait aussi un point sur l’activité du semencier et revient sur ses ambitions de croissance.

Franck Berger, directeur général délégué de Vilmorin & Cie

Comment se passe l’exercice 2022/2023 (qui sera clos le 30 juin prochain) ?

Franck Berger : Le chiffre d’affaires a fortement progressé au premier trimestre, de l’ordre de 28,5%, soutenu par une croissance dynamique de l’activité de la branche Grandes Cultures, notamment en Amérique du Sud. La différence de rythme de progression entre nos deux divisions reste marquée. L’activité Semences Potagères évolue dans un contexte compliqué, entre le surenchérissement des coûts de production (notamment des cours de l’énergie) et les tensions sur les prix qui pénalisent la consommation des ménages, se traduisant par corolaire par une baisse de la demande de la part des maraichers.

Comment s’explique le dynamisme de votre activité Grandes Cultures ?

F. B. : Deux éléments le justifient. Le premier réside dans la performance pure de la branche : elle a conquis des parts de marché, notamment dans le colza en Europe, où nous confortons notre place de leader. Les activités céréales se sont bien tenues d’une manière générale en Europe. A ces gains sont venus se greffer des hausses des prix, le groupe ayant réussi à répercuter la progression de ses coûts de production. En second lieu, nous avons aussi bénéficié d’une très bonne première campagne pour le maïs en Amérique du Sud, dite « Safra », et la seconde se passe bien. Dans les autres pays (Inde, …), où nos parts de marché sont encore modestes mais en progression, les effets volumes et prix se sont avérés significatifs.

Des facteurs techniques expliquent aussi ces résultats. Les royalties que nous percevons, en Europe, sur les ventes de semences de céréales à paille (blé, orge, …) sont désormais comptabilisées au fil de l’eau et non plus en fin d’exercice, de manière à les aligner avec le cycle de ventes. Elles ont dopé le chiffre d’affaires du premier trimestre. D’autre part, les commandes de tournesol ont été avancées par nos clients en Russie et en Ukraine, ce qui, là encore, nous offre une base de comparaison positive. Le début d’exercice est marqué par une conjonction de facteurs favorables, malgré un contexte général qui demeure perturbé.

Le groupe est toujours présent en Ukraine et en Russie. Pourquoi ? Comment cela se passe-t-il sur place ?

F. B. : Vilmorin & Cie a une présence historique en Ukraine et en Russie. Le groupe emploie une centaine de salariés dans ses deux branches d’activité dans chacun des deux pays. Notre priorité réside dans leur sécurité et dans l’assistance que nous pouvons leur apporter au quotidien.

En Ukraine, où le contexte est évidemment compliqué, la campagne de colza s’est bien passée avec des volumes stables, tandis que les ventes sont attendues en repli pour le maïs. Nous anticipons une légère reprise dans le tournesol. Pour le moment, le groupe est toujours parvenu à livrer ses semences et à se faire payer.

Du côté de la Russie, on note une stabilité des prévisions de surfaces dédiées au maïs et au tournesol. Le niveau de pré-commandes s’est avéré très élevé. Par crainte d’une éventuelle mise en place d’un embargo sur les semences, et de ne plus pouvoir en disposer, nos clients se sont empressés de passer leurs commandes. D’autre part, un important concurrent a décidé de quitter la Russie, ouvrant un peu plus le marché. Le groupe a aussi décidé d’accroitre la part de ses semences produites localement afin de moins dépendre des flux de transport et de leurs aléas.

Nous n’avons pas l’intention de cesser d’opérer en Russie. Les semences, considérées comme des biens de première nécessité, ne sont pas pour l’heure concernées par les décisions d’embargo à l’encontre de la Russie. Si cette situation devait évoluer, nous prendrions les mesures qui s’imposent. Pour l’heure, nous jugeons qu’il est de notre devoir et de notre responsabilité de rester sur place. L’enjeu est de taille, il concerne l’alimentation mondiale. 

Pouvez-vous nous rappeler vos objectifs pour l’exercice ?

F. B. : Nous tablons pour l’ensemble de l’exercice sur une progression comprise entre 6 et 8% du chiffre d’affaires (à données comparables). Cette prévision peut sembler conservatrice, mais le premier trimestre représente à peine 15% du montant total des ventes, un chiffre qui monte généralement à 35% en incluant le deuxième trimestre. Au regard des conditions de marché actuelles, la prudence doit rester de mise.

Vous consacrez plus de 15% chaque année de votre chiffre d’affaires à la R&D. En quoi l’innovation est-elle importante pour le groupe ?

F. B. : Il n’y a pas de chiffre totem, mais l’innovation est le cœur du réacteur du groupe. Nous avons consacré 275 millions d’euros à la recherche & développement lors de l’exercice 2021/2022. Cet effort sera poursuivi dans la durée. De nouvelles problématiques apparaissent en permanence.

Le rendement – produire la même quantité sur une surface moindre, ou produire plus par unité de surface – constitue un axe important de notre recherche. L’amélioration continue de la qualité technologique de nos variétés en est un autre : développer un blé avec des qualités nutritionnelles supérieures, une orge plus facile à brasser, …. La résistance aux maladies et aux insectes nuisibles constitue aussi une demande prégnante de la part de nos clients, d’autant qu’elle s’inscrit aujourd’hui dans un contexte de baisse de l’utilisation des produits phytosanitaires.

De nombreux problèmes liés au réchauffement climatique, comme la tolérance au stress hydrique, ont fait aussi leur apparition. Grâce à l’étendue de notre réseau de stations de recherche (plus de 100 réparties dans 70 pays), nous sommes capables d’observer des plantes comme le blé dans ce type de conditions séchantes et transposer ces résultats pour anticiper les besoins futurs sur d’autres géographies. 

Ces innovations nous assurent la propriété des variétés que nous commercialisons, sachant que les semences propriétaires dégagent une plus forte rentabilité. 95% du chiffre d’affaires de la branche Semences Potagères ont été réalisés l’an dernier avec des semences issues de la recherche du groupe et plus de 60% pour les Semences de Grandes Cultures.

Les bouleversements que le monde vient de vivre (la pandémie, la guerre en Ukraine, l’accélération du changement climatique, …) auront-ils une influence sur votre activité ?

F. B. : Ils vont renforcer notre activité, à savoir la recherche en génétique des plantes, et rendent encore plus déterminante notre capacité à répondre à de nouvelles problématiques. Les agriculteurs veulent s’assurer que les semences sont résilientes, capables de combattre tous les périls auxquels ils doivent faire face. C’est important sur le plan quantitatif. Historiquement, on estime que 50% des gains de productivité des exploitations ont été apportés par la génétique. Ce sera encore plus vrai demain au regard de la détérioration des conditions environnementales.

Les grandes tendances de long terme qui soutiennent notre activité ne sont pas modifiées. L’expansion des semences dites commerciales par rapport aux semences de ferme se poursuit partout, notamment dans les pays émergents. Nos semences apportent des solutions aux enjeux de souveraineté alimentaire des pays. En Chine par exemple, l’offre génétique en maïs est de moindre qualité par rapport à celle de l’Europe ou des Etats-Unis. Autre exemple, l’Inde, qui se positionne désormais comme acteur à l’exportation sur le marché mondial du blé, grâce, notamment, à l’utilisation de semences à haute valeur ajoutée.

D’autre part, et je l’ai déjà évoqué, il y a un besoin de réponses aux problèmes liés au changement climatique. La sphère politique reconnait d’ailleurs la contribution des semenciers à cet enjeu. Dans son discours de lancement du plan France 2030, le Président Macron a mis en avant trois leviers pour produire plus et produire mieux, dont la génétique.

Le groupe a grandi à coups d’acquisitions. Etes-vous toujours en quête d’opportunités ?

F. B. : Le groupe marche sur deux pieds, la croissance interne, centrée sur le développement de nos variétés propriétaires, et la croissance externe ciblée. Cette dernière a pour objectif de renforcer notre présence dans des zones où nous sommes encore peu implantés, partout où nous avons moins de 5% de parts de marché par exemple, mais aussi de nous apporter des compléments de ressources génétiques afin de compléter notre portefeuille.

Au regard du niveau élevé des valorisations des dernières opérations, nous faisons preuve d’une grande sélectivité, mais restons en veille de toute opportunité qui pourrait nous permettre d’accélérer nos ambitions stratégiques.

Pouvez-vous nous rappeler en quoi consiste votre politique de rémunération des actionnaires ?

F. B. : Il nous semble essentiel que l’évolution de l’action suive la performance économique de l’entreprise, sachant que nous conservons des ressources financières pour soutenir la croissance de notre activité et réduire la dette. Ainsi, nous distribuons un dividende de qualité, en fonction des résultats. Au titre de l’exercice 2021/2022, il s’est élevé à 1,60 euro par action, soit autour de 40% du résultat net, un niveau sensiblement équivalent aux années précédentes.

Enfin, sur tous ces sujets, nous échangeons beaucoup avec notre comité consultatif des actionnaires individuels.