François Delrot : « La réussite d’une phase II pour les Biotechs peut entraîner des envolées spectaculaires des titres »
François Delrot est Manager chez KPMG France, spécialisé HealthTech. Il conseille les sociétés de biotechnologies, et plus largement les DeepTechs de la santé, sur les thématiques finance et management, mais aussi les fonds d’investissement. Il nous explique comment investir dans une biotech.

Quels sont les critères à prendre en compte si l’on souhaite investir dans une biotech ?
François Delrot : En premier lieu, je rappellerai la définition des Biotechs. Il s’agit de jeunes pousses qui utilisent les sciences du vivant pour développer des médicaments. Elles investissent des champs de recherche en manque de solutions thérapeutiques comme l’oncologie ou les maladies rares. Mais il ne faut pas oublier que le domaine de développement des biotechnologies s’étend au-delà de la santé.
La France compte 1.500 jeunes pousses, dont une centaine est en recherche avancée et une dizaine prête à commercialiser un médicament. Ce sont de petites structures, de moins de 10 salariés en moyenne, avec à leur tête des scientifiques issus de la recherche académique.
Les Biotechs constituent pour un investisseur un pari spéculatif avec des risques de déconvenues majeures, et elles doivent s’appréhender sur un horizon de long terme.
Le premier critère d’investissement consiste à privilégier les sociétés qui visent des marchés de taille importante, qui ont déjà démontré l’intérêt de leur produit à travers un partenariat avec un laboratoire pharmaceutique, ou qui développent une technologie de rupture pour les patients comme pour la société dans son ensemble.
Il faut ensuite s’intéresser à l’équipe dirigeante, qui doit être composée de scientifiques de renom, ayant déjà publié dans des revues internationales, et à l’écosystème de la société. Les actionnaires de référence doivent être capables de réinvestir pour financer notamment la fameuse « vallée de la mort », qui se situe après le passage à la phase II, l’étude clinique visant à démontrer l’efficacité du produit. Il faut aussi regarder si les fondateurs historiques sont toujours présents au capital, c’est une garantie que les actionnaires et le management sont liés.
L’horizon de liquidités constitue un autre critère. Elle mesure la capacité de la société à délivrer son business model. Un minimum de 12 mois de trésorerie est nécessaire pour pouvoir faire face aux imprévus.
La stratégie de diversification doit être aussi prise en compte. L’investisseur doit privilégier soit les sociétés disposant d’un portefeuille de plusieurs molécules en développement, soit celles qui développent plusieurs médicaments dans des phases de recherche différentes. Les sociétés à mono-produit induisent plus de risques.
Enfin, pour éviter le risque de dilution, il faut se concentrer sur les Biotechs qui n’utilisent pas ou peu d’instruments financiers dilutifs, comme les obligations convertibles ou celles assorties de bons de souscription d’actions, sachant que les emprunts traditionnels ne leur sont pas accessibles.
Avant d’investir dans une Biotech, l’investisseur doit avoir une démarche proactive, mener une analyse rigoureuse de la société, lire le rapport annuel, s’intéresser à la position en cash, etc. La part de son portefeuille consacrée aux Biotechs doit être limitée à 5-10% et composée d’un panel varié de sociétés.
Quels sont les principaux paliers de valorisation pour ces sociétés ?
François Delrot : Les sauts de valeur sont étroitement liés à l’évolution de la molécule.
Le passage du stade pré-clinique à clinique, la phase de test de sécurité et de tolérance sur des humains, est souvent anticipé par les marchés, et donne rarement lieu à un bond du titre en bourse car le succès est souvent déjà intégré dans la valorisation.
En revanche, la réussite d’une phase II qui mesure l’efficacité du produit sur un petit nombre de patients et qui le rapproche de l’autorisation de mise sur le marché peut entraîner des envolées spectaculaires (à l’image de la biotech belge Argenx par exemple). En sens inverse, un résultat négatif équivaut souvent à l’abandon du projet. A ce stade, le comportement des investisseurs est assez binaire. Il y a peu de place pour l’incertitude.
Enfin, une phase III réussie confirme la mise sur le marché du médicament dans les 12 à 18 mois. La zone de risque se situe dans la durée de la période de recevabilité de la demande.
D’autres événements peuvent aussi avoir un impact sur la valorisation d’une Biotech. La conclusion d’un partenariat stratégique avec un laboratoire pharmaceutique par exemple : elle accroît la visibilité de la société, permet de faire de la recherche croisée et du partage de compétences (notamment pour le recrutement et le suivi des patients pour les essais cliniques).
Le recrutement d’un CEO ou d’un directeur scientifique qui ont déjà réussi dans une autre Biotech peut également booster un titre. Enfin, la perspective d’une cotation sur le Nasdaq a un important effet de levier, les investisseurs américains ayant une vraie appétence pour les Biotechs, mais elle implique de lourdes contraintes administratives pour des petites structures.
Pourquoi la question de la trésorerie est-elle si fondamentale pour les Biotechs ?
François Delrot : Les Biotechs possèdent peu ou pas du tout de capacités d’autofinancement, ne générant aucun chiffre d’affaires. Leur survie dépend de capitaux extérieurs. Elles peuvent compter en France sur le « crédit impôt recherche » qui représente 30% des dépenses. D’autant qu’il est versé rapidement, dans un délai de 3 à 18 mois.
Mais d’autres solutions sont nécessaires amenant les directions à jongler entre les aides et les subventions publiques, à faire appel à des financements parfois dilutifs.
C’est pourquoi elles doivent mettre en place une stratégie financière pour ne pas devoir négocier « au pied du mur » et ne pas céder leur technologie à des prix bradés, mais aussi pour veiller à préserver les intérêts des investisseurs historiques.
Quelles sont les Biotechs françaises susceptibles de jouer un rôle dans la lutte contre le coronavirus ?
François Delrot : Plutôt que de savoir quelle Biotech pourrait jouer un rôle dans la lutte conte le covid-19, la vraie question à se poser est : pourquoi et comment les Biotechs pourraient aider à trouver un traitement, ou un vaccin ?
Il s’agit de petites structures capables de prendre des décisions opérationnelles rapidement, d’adapter leur business model pour saisir des opportunités, le tout en apportant un haut niveau technologique. Elles ont un rôle à jouer dans toute crise sanitaire, celle-ci et les futures, en matière de diagnostic, de prévention et de guérison.
Comment ? Il est vain de penser qu’une Biotech seule peut réussir, une alliance avec l’industrie pharmaceutique, qui dispose de réseaux et de moyens financiers, accélère l’innovation et doit être privilégiée. La lutte contre le Covid-19 pourrait le démontrer.