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Mariés sans contrat, vos droits et devoirs

Le mariage n’est pas seulement l’occasion d’officialiser une vie à deux. C’est aussi le moyen de voir son quotidien réglé par un régime juridique équilibré et protecteur de chacun des époux : la communauté réduite aux acquêts. Nous faisons le point.

présidentielle 2022
Crédit: istock.

Le printemps est là, les oiseaux chantent et, malgré la pandémie qui perdure et impose des mesures restrictives aux rassemblements, nombreux sont les couples qui, après avoir retardé leur union, ont décidé de passer devant monsieur le maire. La plupart sont plus préoccupés par les préparatifs et le respect de la jauge du nombre d’invités que par les conséquences juridiques du ­mariage. Comme 80 % des futurs époux, vous n’avez ni consulté un notaire ni prévu de signer un contrat pour adopter un régime matrimonial conforme à vos besoins. Vous êtes donc automatiquement placé sous celui de la communauté réduite aux acquêts.

En dehors des obligations générales qui s’imposent à tous les conjoints (assistance matérielle et morale, éducation des enfants, droit d’hériter du défunt, contribution aux charges du ménage, paiement des impôts…), ce régime organise une forme de solidarité, chacun participant à la création, au développement et à la gestion d’un patrimoine commun appelé communauté. Il préserve aussi chaque époux qui conserve ses actifs personnels nommés biens propres. Enfin, il est protecteur, l’enrichissement de l’un profitant à l’autre.

Vous voulez tout connaître de cette communauté réduite aux acquêts qui va régir chaque instant de votre vie maritale ? Nous vous expliquons ce qui vous attend.

Les biens du couple

Dans la communauté légale, il faut distinguer les acquêts des biens propres. Les acquêts sont les biens communs du couple. En effet, selon l’article 1401 du Code civil, la « communauté se compose des acquêts faits par les époux ensemble ou séparément durant le mariage, et provenant tant de leur industrie personnelle que des économies faites sur les fruits et revenus de leurs biens propres ». Pour simplifier, sont ainsi désignés tous les actifs créés ou acquis pendant le mariage, autrement que par héritage ou donation. Que ce soit par l’un seulement des époux ou par les deux ensemble et qu’ils aient été payés avec de l’argent appartenant à la communauté ou à un seul importe peu à cet égard. C’est le cas des immeubles achetés dès la date du mariage, qu’il s’agisse de votre résidence principale, d’un appartement locatif ou d’une maison de vacances. Il en est de même de vos meubles et objets d’art et d’ornement, des voitures, du commerce ouvert ou de l’entreprise créée par l’un ou l’autre durant le mariage, de Punchy le chien ou de Mistigri le chat qui vous tient compagnie ou, plus anecdotiques, de vos gains au casino ou du gros lot miraculeusement gagné au Loto.

Tous les revenus des époux sont également des biens communs : salaires, pensions de retraite, honoraires, bénéfices, droits d’auteur, indemnités diverses et variées (maladie, de licenciement, pour départ à la retraite…) ou sommes versées par une assurance perte d’emploi. Sont comprises les ressources issues des actifs, qu’ils appartiennent ou non à la communauté, par exemple, les dividendes du portefeuille titres que vous avez souscrit et géré à deux, les revenus fonciers provenant de la location d’une maison appartenant exclusivement à votre épouse ou les bénéfices de l’entreprise lancée par vous avant votre union. Quant aux sommes déposées sur un compte bancaire ou un livret d’épargne, qu’ils soient au nom des deux époux ou d’un seul, ce sont aussi des biens communs. Signalons que certains actifs ont un statut hybride : ils appartiennent à l’époux justifiant des compétences professionnelles pour leur création ou leur développement, mais leur valeur fait partie de la communauté, par exemple les clientèles des professions libérales ou une officine de pharmacie.

Les biens propres, qui sont la propriété personnelle et exclusive de chaque époux, sont tous ceux dont les conjoints étaient propriétaires avant le mariage (article 1405 du Code civil). Il faut y ajouter les actifs reçus par héritage, donation ou testament. Et ceux qui ont un caractère personnel marqué. Il s’agit notamment de vos vêtements (voir encadré), mais pas du linge, vos housses de couette et serviettes de bain étant communes, des souvenirs de famille, ainsi que des bijoux sauf s’ils ont été acquis dans une optique de placement. La rivière de diamants que Madame s’est offerte et a déposée au coffre pourra être considérée comme un bien commun, surtout si son prix est très élevé eu égard aux revenus du couple. Enfin, les actifs qui se rattachent à d’autres biens propres en gardent la nature. Par exemple, les constructions édifiées sur un terrain appartenant à l’un des époux ou les actions attribuées à la suite d’une augmentation de capital lorsque les nouveaux titres se rattachent à des titres détenus par un seul. Dans le même esprit, les actifs qui remplacent des biens personnels revêtent automatiquement cette qualité, comme le prix de vente d’un immeuble propre ou l’indemnité d’assurance perçue en cas de vol.

La gestion des actifs

Les droits et obligations des époux dans l’administration de leur patrimoine sont adaptés à cette cohabitation entre biens communs et actifs propres. Pour les premiers, il faut distinguer gestion et disposition. Chacun peut les gérer et les décisions prises par l’un s’imposent à l’autre. Ainsi, votre conjointe peut donner en location un appartement commun, encaisser les loyers ou donner congé au locataire, tandis que, de votre côté, vous achetez et revendez les titres du portefeuille boursier souscrit par vous deux. C’est uniquement si l’un commet une faute de gestion qu’il pourra être condamné à supporter le poids de la dette contractée et/ou à payer des dommages-intérêts, cette condamnation intervenant à la demande de l’époux lésé dans le cadre d’un divorce. Les tribunaux apprécient alors la situation en fonction des circonstances. Est par exemple condamnable le fait pour un conjoint d’emprunter à l’insu de l’autre des sommes pour se livrer à des opérations boursières risquées mettant en péril l’équilibre financier du foyer.

Pour les actes fondamentaux, l’accord des deux époux est nécessaire. Sont ici visées, selon le jargon juridique, les décisions relatives à la « disposition des biens ». Il s’agit évidemment des donations, quels que soient la forme (notariée ou non), l’objet (immeuble, argent, voiture, mobilier…) et le bénéficiaire, y compris donc pour une libéralité à vos enfants. Cette règle s’applique aussi aux biens communs les plus importants, type immeubles et fonds de commerce. Les conjoints doivent intervenir ensemble pour les vendre, les échanger, les hypothéquer, les apporter en société ou consentir un bail commercial. Par exemple, vous êtes en droit de signer seul un mandat avec un agent immobilier pour la recherche d’acquéreurs d’une maison locative vacante car ce document n’implique pas la vente. En revanche, une fois l’acheteur trouvé, la cession ne pourra pas se faire sans l’autorisation de votre conjoint (voir encadré ci-contre). Rappelons toutefois que pour tout ce qui concerne le logement familial, le couple doit, dans tous les régimes matrimoniaux, agir de concert. La mise en vente dans une agence ne peut se faire que par une décision prise à deux.

Pour les biens propres, chaque époux les gère en toute indépendance (article 1428 du Code civil). A l’exception du logement familial, il peut librement les louer, les vendre, les donner, les apporter en société ou en garantie d’un emprunt. Sauf s’il dispose d’un mandat en ce sens, il n’a donc pas le droit de s’immiscer dans la gestion et la disposition des biens de son conjoint. Ainsi, il ne peut contester la vente d’une résidence secondaire en arguant qu’il s’agit d’un bien de famille, le couple et ses enfants y passant leurs ­vacances et les week-ends depuis plus de vingt ans. Enfin, chacun touche à titre personnel les revenus de son travail et de ses biens propres, et peut en principe en faire ce qu’il veut. Mais avant de tout dépenser, il doit s’acquitter de sa contribution aux charges du mariage. De plus, ce pouvoir exclusif cesse lorsque les revenus en cause sont économisés, ce qui est le cas s’ils sont placés sur des comptes, ce qui les rend communs.

Les dettes des époux

Qui dit communauté réduite aux acquêts dit dettes communes, c’est-à-dire qui naissent pendant le ­mariage, à la différence de celles qui surviennent avant le mariage ou après sa dissolution, qui restent propres. En présence d’une telle dette, par exemple des achats répétés par un des époux qui vide le compte joint, deux questions se posent : sur quels biens les créanciers peuvent-ils se faire payer et à qui incombe-t-elle ? Le tableau, page suivante, résume les différents cas de ­figure. Prenons l’exemple des dettes ménagères, comme l’achat d’une luxueuse cuisine entièrement équipée. Madame s’est emballée et a signé la commande, mettant son conjoint devant le fait accompli. Le cuisiniste n’arrivant pas à récuperer son argent peut saisir tous les biens des époux, qu’ils soient communs ou propres, le remboursement incombant pour moitié à chacun.

Les emprunts et cautions nécessitent des précisions. Selon l’article 1415 du Code civil, l’époux qui souscrit un emprunt ou se porte caution sans l’accord de son conjoint n’engage que ses biens propres et ses revenus. Les biens communs et propres du conjoint sont donc protégés. Ce principe s’applique aux crédits immobiliers et à la consommation, aux autorisations de découverts sur un compte bancaire, aux cautions, crédits renouvelables ou crédits vendeur. Toutefois, les emprunts de faible montant et nécessaires à la vie courante relèvent des dettes ménagères. Cette règle de l’article 1415 a d’importantes conséquences. Un créancier ne pourra pas saisir un compte joint, faute pour lui d’identifier les revenus de l’époux à l’origine de la dette. Il ne pourra pas non plus se servir sur un plan d’épargne logement ou un compte-titres alimenté par les seuls revenus du débiteur, les sommes étant épargnées et considérées alors comme des actifs communs.

Reste l’épineux problème des dettes professionnelles accumulées par l’un des époux faisant l’objet d’une procédure collective. Dans ce cas, tous les biens communs, exception faite des salaires du conjoint non exploitant, sont susceptibles d’être saisis pour payer les créanciers. Les époux perdent la libre administration de la communauté qu’ils peuvent, au mieux, continuer à gérer sous la surveillance d’un administrateur judiciaire. C’est la raison pour laquelle il est recommandé aux couples dont l’un des membres a une activité libérale, commerciale, artisanale ou agricole d’adopter un régime de séparation dans lequel il n’y a pas de biens communs saisissables.

La fin de la communauté

Le mariage n’est pas toujours un long fleuve tranquille et, en France, il se termine une fois sur deux par un divorce. Là encore, le régime de la communauté réduite aux acquêts influe sur la séparation et le partage de vos biens. Il faut en effet faire les comptes entre les époux, se répartir les actifs et solder les dettes communes. La tâche n’est pas simple car trois opérations sont requises. D’abord, chaque époux reprend ses biens propres, ce qui est assez compliqué car pendant la vie maritale, les patrimoines se sont mélangés. ­Ensuite, les dettes communes doivent être inventoriées sachant qu’il est souvent nécessaire de vendre des biens communs pour les apurer. Ce sera le cas des emprunts en cours pour l’achat de la résidence principale. Enfin, et surtout, il convient d’établir ce que les professionnels appellent un « compte de récompense ». Il consiste à récapituler les sommes dont chaque époux est redevable à la communauté et, inversement, celles qu’elle lui doit. En effet, des dépenses personnelles ont pu être financées par des fonds communs et des frais incombant à la communauté ont pu être acquittés par des fonds propres. Une fois que ce compte a été constitué, chacun doit être dédommagé de ses avances.

Résumons les opérations de récompense pour y voir plus clair. La communauté a une dette envers un époux chaque fois qu’elle a tiré profit de ses biens propres. Elle doit dédommager celui qui aurait, par exemple, consacré un héritage au financement des travaux dans un appartement commun ou au remboursement de l’emprunt contracté par les deux. A l’inverse, un époux est débiteur envers la communauté chaque fois qu’il a tiré avantage des biens communs. Par exemple, s’il a utilisé des fonds communs pour verser la prestation compensatoire à sa première épouse ou racheter des points retraite auprès d’un organisme privé sans qu’une pension de réversion ne soit prévue en faveur de son conjoint. Il faut ensuite calculer les récompenses et partager les biens.

Prenons un exemple simple. Les époux Durand ont fait l’acquisition en 2011 d’une maison au prix de 100 000 euros, financée à concurrence de 40 000 euros avec des fonds propres de Madame, la communauté déboursant le reste. Au moment du divorce en 2021, la maison vaut 200 000 euros. La récompense due par la communauté à Madame sera donc de 200 000 euros
x 40 000/100 000, soit 80 000 euros. L’indemnisation se fera en argent, quitte à vendre un bien commun si les liquidités sont insuffisantes, ou en nature par prélèvement sur les biens communs.

Pour toutes ces opérations, le recours à un notaire n’est obligatoire que si la communauté comprend des immeubles. Si ce n’est pas le cas, les époux peuvent procéder eux-mêmes aux calculs et au partage des biens. Mais si le patrimoine est important (portefeuille d’actions, objets d’art, bijoux, meubles de valeur…), cette liberté est très théorique. Mieux vaut faire appel à un professionnel compte tenu de la complexité des démarches pour liquider un régime matrimonial.

Comment prouver qu’un bien est commun ou propre ?

Démontrer qu’un bien est commun n’est pas nécessaire, tous les actifs étant présumés appartenir à la communauté. En revanche, le conjoint qui prétend qu’un bien lui est propre doit en attester en fournissant des documents : actes de donation, inventaire successoral, factures d’achats antérieures au mariage… Pour éviter des problèmes de preuve, il est conseillé d’établir avec un notaire un inventaire avant l’union. C’est très utile lorsque l’un des époux a, par exemple, un portefeuille d’actions dont l’origine et la valeur seront d’autant plus difficiles à fixer qu’il aura été géré dynamiquement pendant plusieurs années de mariage. Toutefois, certains biens, par nature (vêtements, outils de travail), ont automatiquement un caractère propre sans qu’il soit besoin de le justifier. Enfin, en l’absence d’écrits ou de factures, les témoignages de tiers sont admis.