Matières premières : « pas de super cycle en vue »
Trois questions à Alain Corbani, gérant chez Finance SA.

Observateur avisé depuis plus de vingt ans des marchés des matières premières, Alain Corbani a officié comme analyste financier chez Dominion Securities, avant de devenir directeur chez RBC Capital Markets, associé gérant de Green Oak Securities, puis directeur général de Commodities Asset Management. Depuis 2009, il gère le fonds Global Gold and Precious chez Finance SA.
Quel bilan peut-on faire de la hausse des matières premières depuis le début de l’année ?
Alain Corbani : La quasi-totalité des matières premières, qu’elles soient précieuses (argent, platine et palladium), industrielles (cuivre, acier, bois) ou même agricoles ont progressé. Le principal indice les répertoriant, le CRB a gagné 50% depuis son creux de mars 2020 et progresse de 23% depuis janvier. Son niveau se rapproche désormais de son point haut historique atteint en 2011, juste après le phénomène de reprise économique que nous avions connu post crise de 2008. Il suffit qu’il gagne encore 12% pour le dépasser. Des différences restent toutefois notables entre les matières premières. Parmi celles qui ont nettement rebondi, on a beaucoup parlé du pétrole. Certes le prix du baril s’est considérablement redressé. Le cours du Brent a gagné 30% depuis le début de l’année. A 67 dollars, il a toutefois juste retrouvé son niveau d’avant Covid et n’a pas renoué avec ses plus hauts historiques. D’autres matières premières se sont quant à elles davantage revalorisées. Le prix du bois a quintuplé en un an, celui du cuivre a doublé… A l’inverse, les métaux précieux ont moins progressé. Le prix de l’or a même légèrement baissé, les investisseurs se tournant plus massivement sur les métaux industriels.
Faut-il s’attendre à un super cycle de hausse ?
A. C. : Les cours des matières premières se sont appréciés du fait des plans de relance massifs annoncés par toutes les grandes économies, notamment par les Etats-Unis. La Réserve fédérale américaine (Fed) prévoie une croissance du PIB américain de 6,5% en 2021. Nous n’avions pas connu de tels chiffres depuis des décennies ! Mais cette croissance reste artificielle, dopée par les politiques monétaires et budgétaires très accommodantes. Dès que les mesures de soutien des économies s’arrêteront, l’activité va retrouver des taux de croissance plus raisonnables. Le PIB américain devrait d’ailleurs retomber à 3,3% en 2022 et 2,1% en 2023 d’après la Fed. Le phénomène de hausse des cours des matières premières devrait donc se tarir. L’argent facile à faire sur les matières premières est même derrière nous. L’impact des plans de relance est d’ores et déjà largement anticipé en Bourse, sauf pour quelques matières premières aux fondamentaux très attractifs. Les politiques généralisées de flux tendus (gestion des stocks) et climatiques ont exacerbé l’attrait pour certaines matières industrielles. Mais un scénario d’hyper inflation est peu probable. Une remontée des taux qui en serait le corollaire pourrait être dommageable aux économies.
Comment se positionner si on veut diversifier un portefeuille avec des matières premières ?
A. C. : L’efficience des marchés des matières premières a été tel qu’il est difficile d’anticiper à nouveau de fortes hausses basées sur les fondamentaux. Certains analystes se montrent encore très optimistes. Goldman Sachs prévoie par exemple encore un doublement du prix du cuivre à l’avenir compte tenu de l’intérêt de ce minerai qui est un composant essentiel dans la voiture électrique. Mais il faut se montrer prudent. La hausse ne peut pas être infinie et les positions spéculatives longues sont à des niveaux historiquement élevés. Selon moi, il vaut mieux se tourner vers des matières premières moins courtisées par les investisseurs. Je conserve par exemple encore une position neutre sur le pétrole. De même, les métaux précieux en particulier l’or ont encore des marges substantielles de progression. L’once d’or, qui s’élève autour de 1840 dollars est loin de son pic de 2075 dollars d’août 2020. Ses fondamentaux macro-économiques s’améliorent aussi du fait des déficits historiques crées par les programmes de relance. Sur le plus long terme, le cours du platine, métal plus rare pénalisé par le moindre intérêt pour les pots catalytiques diesel, pourrait rattraper son retard.