Dossier spécial immobilier : “L’immobilier en France est surtaxé”
Alain Dinin, président-directeur général de Nexity, le premier promoteur de France, s’insurge contre l’empilement des réglementations, normes et taxes qui empêchent les ménages de devenir propriétaires. Il adresse sa feuille de route au prochain gouvernement.
Quel bilan tirez-vous du quinquennat de François Hollande ?
Permettez-moi d’établir un parallèle entre le quinquennat de Nicolas Sarkozy et celui de François Hollande. Tous deux sont partis d’un même objectif : construire 500 000 logements par an, l’un en voulant favoriser les logements sociaux et l’autre souhaitant plus de propriétaires. Nicolas Sarkozy a mené une politique du logement extrêmement soutenue pendant les trois premières années de son quinquennat. Accusé de favoriser la spéculation, il a ensuite fait modifier les lois et est revenu sur les dispositifs lancés en début de mandat…
François Hollande a fait la même chose… mais à l’envers : il a nommé Cécile Duflot au ministère du Logement, avant de réaliser, deux ans plus tard, que sa politique avait bloqué le marché immobilier. Manuel Valls a ensuite repris la main et mis en place des dispositifs pertinents tels que le Pinel et le prêt à taux zéro.
Au bout du compte, leur bilan est similaire : Nicolas Sarkozy a démarré fort, avec 427 000 logements construits en un an pour terminer à 280 000. François Hollande a commencé sur ce bas niveau mais terminera probablement son mandat à 420 000.
D’où vient d’ailleurs ce chiffre de 500 000 logements par an ?
Vous serez surpris : il remonte à Georges Pompidou, qui, en janvier 1968, avait ouvert un congrès HLM en affirmant que la France serait sur la bonne voie si elle construisait 500 000 logements par an. Sauf qu’entre 1968 et 2016, la population a augmenté d’un tiers ! Aujourd’hui, le vrai sujet n’est pas de savoir combien mais où il faut construire des logements. Faut-il une politique nationale ou des politiques locales ?
Existe-t-il un problème spécifique de logement dans les banlieues ?
C’est en effet aujourd’hui un problème, mais cela ne l’a pas toujours été. Je vais vous raconter mon enfance. Mon père était VRP et ma mère tenait un petit magasin de tissus à Dunkerque. Dans les années 1960, s’est construite, à une petite dizaine de kilomètres de là, une ville nouvelle, Grande-Synthe. Mes parents, qui n’avaient pas les moyens d’acheter à Dunkerque, se sont installés dans cette zone, où j’ai vécu pendant une dizaine d’années.
C’était une jolie petite ville, mais nous nous trouvions éloignés de Dunkerque où il y avait tous les commerces et les infrastructures. À Grande Synthe, il y avait des écoles primaires mais pas d’école secondaire. Dès que mes parents ont eu davantage de moyens, ils sont retournés vivre à Dunkerque. Ne sont restés à Grande-Synthe que les gens modestes qui n’avaient pas les moyens de vivre ailleurs. Petit à petit, d’une première génération à une seconde, Grande-Synthe est devenue une zone difficile. Pourquoi ? Parce que le problème d’urbanisme avait été réglé. Pas celui d’urbanité.
C’est alors que surgissent les problèmes de communautarisme…
En effet. Quand nous regardons sur une très longue période pourquoi et comment naissent les problèmes de communautarisme dans certaines banlieues, on se rend compte qu’elles n’ont pas été connectées aux villes et à tous les éléments qui font la ville. Ceux qui ont les moyens de partir partent… et ceux qui ne le peuvent pas restent et se replient sur eux-mêmes.
À deux semaines du premier tour de l’élection présidentielle, à quel candidat accordez-vous votre confiance ?
Je ne veux pas entrer dans des polémiques. Le représentant d’entreprise que je suis est neutre politiquement mais très investi sur les questions liées à la politique du logement. J’ai toujours été en conversation avec les responsables politiques, de gauche comme de droite, car ce qui m’intéresse de faire évoluer, c’est le sujet du logement, et il n’est ni de droite ni de gauche. Il faut apporter des réponses aux questions sur les permis de construire, les autorisations administratives, la construction de la ville et des centres urbains, les modifi cations des règles d’urbanisme…
Diriez-vous que le logement a été le grand oublié des programmes présidentiels ?
Le logement est probablement le sujet le plus complexe à traiter. Il ne suffit pas de vouloir favoriser ou non la production de logements, mais de comprendre la société dans laquelle nous évoluons. Le vrai débat est de savoir quel style de vie le futur gouvernement veut offrir aux différents types de population. Il faut laisser les villes, les communautés urbaines et les communautés de communes réfléchir elles-mêmes à la production de logements qu’elles veulent avoir en fonction de la population qu’elles estiment pouvoir accueillir et la façon dont elles peuvent le faire.
Il faut analyser les besoins des régions en fonction de l’évolution de la démographie. Dans tous les pays industrialisés, les grandes villes ont comme vocation de continuer à s’élargir, car c’est là que se concentrent les transports, les écoles, les hôpitaux, les commerces, la culture… ce qui permet le “vivre-ensemble”.
Par exemple en Île-de-France ?
Les démographes anticipent un accroissement de la population de 100 000 habitants chaque année au cours des vingt prochaines années. Compte tenu des familles monoparentales, il faut créer 70 000 logements chaque année. Il faut donc une politique régionale du logement en Île-de-France.
François Hollande a créé le ministère du Logement et de l’Égalité des territoires. Mais les territoires ne sont pas égaux. Justice et égalité sont deux notions différentes, il faut être équitable. Il faut réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre : construire des logements, c’est créer des réseaux de transport, des commerces, des crèches, etc.
L’une des grandes actions de Jean-Louis Borloo a été de mettre au point la loi SRU (Solidarité et Renouvellement urbain, NDLR), qui considérait qu’on ne pouvait plus construire des logements sans se préoccuper de tout ce qui va autour de ce logement.
Mais cela a un coût…
Vous avez raison. D’où le raisonnement suivant : si vous achetez un logement, la commune va vous taxer d’une contribution aux équipements publics. C’est pour cela que, sur les dix dernières années, le prix du logement a été multiplié par 2 et le prix des terrains par 6 dans certaines zones. La profession immobilière n’a pas profité de la situation, il n’y a pas eu de spéculation.
Chez Nexity, nous dégageons une marge de 9 % dans la promotion avant impôt sur la construction de logements (6 % après impôt). Les prix ont été multipliés par six parce qu’il manquait des constructions pour répondre aux besoins des 100 000 nouveaux habitants.
Que demandez-vous au prochain gouvernement en matière de fiscalité ?
L’immobilier rapporte plus qu’il ne coûte aux finances publiques ! Les élus nationaux doivent accepter de s’interroger sur la fiscalité la moins injuste à mettre en oeuvre. Faire payer, par exemple, l’impôt foncier à un jeune qui entre dans la vie active ou qui est encore étudiant, c’est inéquitable. Le logement est un besoin primaire et premier. L’immobilier est en France plus taxé que chez nos voisins européens. À l’acquisition, c’est au total 27 % du prix en France, 9 % en Italie et 10 % en Allemagne. Quant à la fiscalité sur la détention, sur dix ans, on est à 29 % en France contre 16 % en Allemagne et moins de 10 % dans les autres grands pays !
Compte tenu de toutes les contraintes et de toutes les normes de construction qui se sont empilées au cours des dernières années, produire un logement est devenu trop cher : de plus en plus de Français ne peuvent plus accéder à la propriété. Si on veut une France de propriétaires, il faut les aider avec la fiscalité.
En Allemagne, si le gouvernement a décidé d’appliquer une TVA à taux réduit, c’est bien parce qu’il considère que cette mesure est une aide au logement. En France, le prochain gouvernement ferait bien de faire revenir les investisseurs institutionnels et les compagnies d’assurances dans l’immobilier en les incitant fiscalement.
Le marché du logement neuf se porte bien. Êtes-vous confiants dans l’avenir ?
Aujourd’hui, la production de logements est à un niveau satisfaisant, les taux d’intérêt remontent, mais ne pénalisent pas le marché. Les promoteurs produisent seulement les logements qui ont été prévendus. À Nexity, ce sont 16 000 logements qui ont été réservés l’an dernier et qui seront mis en chantier l’année prochaine pour être livrés l’année suivante. Je connais donc mon chiffre d’affaires prévisionnel.
Supposez que, l’année prochaine, le marché ralentisse, nous ferons moins de préventes, donc moins de chantiers l’année suivante. Les promoteurs ne fabriquent pas de stock. C’est pour cela que la France a un marché immobilier de flux alors que dans les autres pays c’est un marché de stock. C’est une quasi-exception française qui minimise les difficultés des promoteurs. Le risque en cas de retournement du marché, c’est une baisse de production, donc des chômeurs en plus, de la TVA et des taxes qui ne rentrent pas… Cela devient alors un problème politique.
Pensez-vous que la taxe sur les loyers fictifs ait une chance d’être votée par le prochain Parlement ?
Cette taxe est une idée stupide. Je n’y crois pas. Pourquoi les Français veulent-ils être propriétaires ? Pour préparer leur avenir ! Les Français immobilisent des capitaux pour acheter un bien en prévision de leur retraite. Compte tenu du vieillissement de la population, des difficultés à équilibrer financièrement les systèmes de retraite, ils savent que leurs pensions sont appelées à baisser. Le gouvernement prendrait un risque énorme s’il venait à taxer les retraités qui n’ont plus de crédit à rembourser et qui souhaitent simplement maintenir un niveau de vie correct. Cela les révolterait et casserait la croissance.
Et croyez-vous à la suppression de l’ISF ?
Je ne crois pas non plus à la fin de l’ISF. Le cas échéant, sa suppression serait de toute façon remplacée par une autre taxe. Il ne faut pas oublier que la France a 2 200 milliards d’euros de dette ! Les taux d’intérêt augmentent de 1 point cette année : si vous vous êtes acheteur d’un logement moyen (212 000 euros) et que vous empruntez sur dix-sept ans, avec 20 % de fonds propres, 1 % de hausse des taux, c’est 47 euros de mensualité supplémentaire. Un point sur la dette de l’État, c’est 22 milliards de dette supplémentaire. Il va donc falloir que l’État trouve de l’argent supplémentaire quelque part…
Concernant les dispositifs d’incitation fiscale, souhaiteriez-vous que le Pinel perdure en l’état ?
Ce que je voudrais, c’est ce que Nicolas Sarkozy et François Hollande avaient promis : de la stabilité. Si le dispositif Pinel fonctionne, pourquoi donc y toucher ?
Vous demandez finalement au prochain gouvernement de s’engager sur des règles pérennes…
L’instabilité des règles est insupportable. Entre le moment où un promoteur achète un terrain et obtient un permis de construire et le moment où il le livre à la population, il se passe en moyenne quatre ans. Si vous changez de texte de loi tous les dix-huit mois, le système se grippe ou dérape.
Je suis dans ce métier depuis 1974 et je dois en être à mon 25e ministre du Logement : nous sommes en permanence sur du stop and go avec des lois qui ne permettent pas d’avoir une production compatible avec la démographie. Je demande la stabilité des règles du jeu.
Si je devais demander quelque chose au futur président de la République, ce serait d’avoir une vision large de ce que sont la ville et le vivre-ensemble. Le logement, c’est politique, la politique, c’est la vie de la cité. Vous ne pouvez pas traiter le logement comme un accessoire, une variable d’ajustement politique en choisissant un ministre selon les contraintes politiques.
Il faut arrêter de se focaliser sur le coût du logement, mais regarder aussi ce qu’il rapporte : l’État dépense 45 milliards d’aides au logement et encaisse 65 milliards de recettes fiscales liées à l’immobilier. Ce sont donc 20 milliards d’euros qui rentrent dans les caisses de l’État grâce au logement. Dont acte !
Propos recueillis par