Se connecter S’abonner

Passoires thermiques : rénover, acheter, ou vendre ?

Propriétaire ou acheteur, tour d’horizon des options que vous avez face à la réglementation, appelée à sanctionner plus durement les passoires thermiques.

rénovation énergétique
iStock


Dur, dur de posséder un logement énergétique aujourd’hui. Depuis l’entrée en application de la Loi Climat et Résilience en 2021, qui rend opposable le nouveau Diagnostic de performance énergétique (DPE) aux tiers, les couperets tombent les uns après les autres pour les propriétaires de ces passoires : gel des loyers depuis le mois d’août 2022, interdiction progressive de location (dès 2025 pour les logements « G »), obligation de réaliser un audit énergétique en cas de vente dès le 1er avril 2023…
Les conséquences de ces sanctions sur le marché immobilier ? Elles sont immenses. Comme le souligne la plupart des experts que nous avons interrogés (voir notre table ronde en page X), un mauvais DPE agit comme un épouvantail pour les acheteurs. Ce qui débouche inévitablement sur des négociations et une décote conséquente. Dans ce contexte anxiogène, faut-il rénover avant de vendre ? Avec quel budget ? Ne vaut-il pas mieux, au contraire, se résoudre à un prix de revente tiré vers le bas mais en évitant les travaux ? Enfin, les investisseurs ont-ils intérêt à jeter leur dévolu sur ce type de biens ? Autant de questions auxquelles cette enquête tente de répondre, arguments et conseils à l’appui.

Propriétaire : que faire de votre passoire thermique ?

Rénover

En théorie, c’est l’option la plus sage. Pour trois raisons. D’abord, parce que mettre aux normes énergétiques un logement permet de faire des économies. « Grâce aux aides (MaPrimeRénov’, certificats d’économie d’énergie et aides locales), un bouquet complet de travaux de rénovation énergétique sera vite rentabilisé : en moins de 5 ans pour un foyer très modeste, qui fera logiquement le plein de subventions, et en 10 ans environ pour un foyer aisé », précise Gautier Villard, directeur de l’activité Rénovation Énergétique & Solaire à Hello Watt, plateforme digitale de conseil en économies d’énergie pour les particuliers. Bon à savoir quand on se projette sur la durée dans le logement. Ensuite, ces travaux sont un blanc-seing pour pouvoir louer le bien et augmenter potentiellement le loyer quand on est bailleur (dans la limite des plafonds autorisés si le logement est situé dans une commune où l’encadrement s’applique). Enfin, une mise aux normes énergétique permet aussi de valoriser le bien. C’est ce qui intéresse au premier chef les propriétaires forcés de vendre pour un « fait de vie » (divorce, agrandissement de la famille, changement professionnel…).
Avant de vous lancer dans un chantier, évaluez le budget nécessaire à ces travaux et leur faisabilité technique, en passant par des accompagnateurs spécialisés, y compris en sollicitant le dispositif « MonAccompagnateurRénov’ », qui devient progressivement obligatoire pour des bouquets de travaux et qui peut être gratuit. Cela vous permettra de prendre une décision éclairée. Bonne nouvelle, le « nouveau DPE » fournit des informations sur les postes clés sur lesquels vous devez agir pour améliorer l’efficacité énergétique de votre habitation, en précisant le budget nécessaire pour effectuer les travaux, du moins une fourchette. L’audit énergétique, qui devient obligatoire ce printemps, préalablement à la mise en vente d’un bien classé F ou G, va encore plus loin en formulant des propositions de travaux en plusieurs étapes ou en une seule à effectuer pour faire passer le logement en classe C.


Question cruciale : quel budget prévoir pour une rénovation ? L’augmentation continue du coût des matériaux de construction (+25% environ depuis deux ans), couplée aux spécificités de chaque habitation et aux différences du coût de la main d’œuvre dans les territoires, complexifient l’exercice du chiffrage. Gautier Villard, d’Hello Watt, donne toutefois des fourchettes estimatives : « pour une rénovation globale permettant de faire basculer un logement énergivore en logement très efficient (classé A ou B), il faut compter entre 50 000 et 70 000 euros pour une maison individuelle, et entre 30 000 et 50 000 euros pour un appartement ». De son côté, la Fnaim rapporte qu’une rénovation ambitieuse, permettant à une passoire de sortir de cette catégorie, coûte en moyenne « entre 20 000 et 60 000 euros ». Thierry Vignal, président et co-fondateur de Masteos, spécialiste de l’investissement locatif clé en main, évalue le coût à « environ 1 000 euros par mètre carré en moyenne pour une petite surface », même si certains postes comme le chauffage représentent souvent un coût fixe incompressible (13 000 à 15 000 euros pour une pompe à chaleur par exemple), qui ne dépend pas de la surface de l’habitation.

Pour le vendeur, il y a un calcul financier à faire pour déterminer si l’argent investi pourra être récupéré à la sortie. Si le prix au mètre carré est cher comme à Paris, cela ira souvent de soi. Mais dans une ville comme Saint-Etienne, dont les prix sont en moyenne à 1 450 euros, se lancer dans des travaux coûteux garantit une moins-value à la sortie. Sauf exceptions. Et cela quand bien même les prestations des artisans sont moins chères que dans la capitale.
Attention, il est bien plus aisé de rénover un logement individuel qu’un appartement. Et cela notamment parce que l’accord préalable de la copropriété est nécessaire pour la plupart de ces travaux, qui impose des modifications dans les parties communes – c’est le cas notamment pour l’installation d’une pompe à chaleur. « En revanche, les propriétaires d’appartements peuvent librement intervenir sur l’isolation intérieure et les fenêtres, sauf cas particuliers, rapporte Gautier Villar. Quant à la rénovation globale de la copropriété, chantier qui résout d’un coup beaucoup de problèmes, elle se heurte pour l’instant à de nombreux obstacles ».
Autre difficulté : la rénovation de certains types de biens n’est pas toujours possible ou viable économiquement. C’est le cas dans les immeubles historiques (y compris les haussmanniens), compte tenu de l’interdiction de modifier la façade. Seule solution : isoler les murs par l’intérieur, ce qui fait perdre des mètres carrés précieux. Les appartements mansardés sont aussi problématiques, mais pour des raisons mathématiques. Le nouveau DPE, qui prend en comptable la surface habitable (SHAB), les défavorisent. Si bien que même en procédant à une rénovation ambitieuse, un appartement sous comble initialement énergivore ne parviendra pas forcément à descendre sous la lettre F.
Un dernier écueil, tout aussi bloquant, se dresse en travers des propriétaires : trouver des artisans. Dans une étude réalisée mi-février, Heero évaluait à 65 000 le nombre d’entreprises reconnues garantes de l’environnement (RGE), qui donnent accès aux aides. Soit 5% seulement des professionnels du BTP. Ces professionnels RGE sont par ailleurs inégalement répartis sur le territoire. « On constate que les zones les plus en tension (où il y a le moins d’entreprises RGE par habitants) sont les zones touristiques côtières, mais aussi les zones montagneuses en raison des difficultés d’accessibilités, souligne Romain Vilain, directeur général de Heero. Certaines aires urbaines comme celles de Nantes ou Bordeaux sont pénalisées également. » Conséquence de cette rareté, la disponibilité des artisans RGE laisse à désirer. Et il s’écoule souvent plusieurs mois entre la signature du devis et le début des travaux.

Vendre

Quand bien même rénover constituerait la meilleure option – ce qui, comme nous l’avons vu, n’est pas toujours le cas –, beaucoup de propriétaires, bailleurs ou résidents, se heurtent au frein financier. Car le reste à charge, c’est-à-dire le budget diminué des aides potentielles, pèse lourdement : il s’élève en moyenne à 78% du projet, selon les estimations d’Heero, acteur du financement de la rénovation énergétique. Or, sortir de sa poche plusieurs dizaines de milliers d’euros n’est pas à la portée de beaucoup de ménages. Pour y faire face, tentez de souscrire un éco-PTZ, si votre capacité d’emprunt vous le permet. Il s’agit d’un prêt sans intérêt, donc très avantageux, d’un montant maximal de 50 000 euros. Mais les banques trainent des pieds pour le distribuer. Bonne nouvelle, vous n’avez plus à fournir de documents liés à vos travaux si votre demande MaPrimeRénov’ a été acceptée par ailleurs. A défaut d’obtenir un PTZ, vous pouvez aussi vous tourner vers votre banque ou courtier pour un crédit personnel.

Vous ne pouvez pas aborder une rénovation avant de revendre ou vous êtes allergique aux travaux ? Mettez toutes les chances de votre côté en proposant le bien à un prix adapté, forcément inférieur à celui de la moyenne du marché. « La décote généralement constatée pour les passoires, par rapport à un logement efficient énergétiquement, se situe dans les grandes villes entre 5 et 10%, rapporte Thomas Venturini, président et cofondateur de la néo-agence Liberkeys. Elle atteint parfois 20%. Mais dans ce cas, le prix au rabais n’est pas uniquement dû à l’aspect énergétique mais lié aussi à d’autres défauts. » Quoi qu’il en soit, gardez en tête qu’il vous faudra négocier avec vos acquéreurs, en position de force aujourd’hui sur le marché. « La négociation atteint en moyenne 6% pour les passoires, contre 3,5% pour les non-passoires », avance Thomas Lefebvre, directeur scientifique de Meilleurs Agents. Dernier conseil si vous vendez un logement F ou G : apportez un maximum d’informations aux acquéreurs. Fournisses des devis d’artisans et les autorisations accordées par la copropriété, le cas échéant. Cela permettra de rassurer les acheteurs.

Acquéreurs : profitez des opportunités

Où acheter ?

La décote moyenne constatée sur un bien F ou G par rapport à un autre, aux caractéristiques identiques mais étiqueté D dans le DPE, varie fortement d’une région à une autre. Elle est plus élevée là où la tension immobilière est importante, et inversement. C’est en Nouvelle-Aquitaine où le différentiel de prix atteint son paroxysme (19% en moyenne), ce qui s’explique par le caractère rural et très peu tendu de certains de des départements qui la compose, comme la Creuse ou la Corrèze. A l’opposé, la décote constatée en Auvergne-Rhône Alpes ou en Région parisienne est bien moindre (6% ou moins). Dans une analyse plus récente, SeLoger va plus loin en révélant que le prix de mise en vente d’une passoire est en moyenne de 3,9% inférieur à celui des autres biens, avec de fortes disparités par territoires (1% à Paris et 5,6% en zone rurale).
Un conseil : avant d’initier une négociation, vérifiez donc que le logement que vous convoitez est proposé avec un important rabais (idéalement 5% dans une grande ville, et 10% ailleurs). Et budgétez bien le montant des travaux, en prenant de la marge. Enfin, intégrez le volet travaux dans votre financement immobilier.

Profitez des avantages fiscaux

Achetez une passoire thermique dans le cadre d’un investissement locatif a tout du bon calcul. Et cela en raison de la réduction ou neutralisation d’impôts que vous obtiendrez par ce biais. Si vous louez nu et si vous optez pour le régime réel d’imposition, vous pourrez déduire ces travaux de vos revenus, de façon à générer un déficit reportable, dans la limite de 21 400 euros, contre 10 700 euros pour les autres travaux. Prenons l’exemple de l’acquisition d’un trois pièces à Limoges pour 100 000 euros, auquel s’ajoute un budget de rénovation énergétique de 50 000 euros. Les loyers annuels s’élèvent à 7 500 euros. La première année, vous dégagerez un déficit foncier de 42 500 euros, votre revenu imposable sera réduit de 21 400 euros et le déficit foncier imputable aux revenus fonciers des années suivantes atteindra 21 100 euros.

Si votre projet est d’investir dans une ville moyenne, pensez à utiliser le dispositif Denormandie. Il permet d’obtenir jusqu’à 63 000 euros de réduction d’impôt pour 12 ans d’engagement de location, à un loyer plafonné (voir page repères pour les plafonds). Le locataire doit respecter des plafonds de ressources. Quant au montant des travaux, il doit représenter au moins 25% du projet, soit au minimum un tiers du prix d’achat. Passée la période de défiscalisation, vous aurez toute latitude pour revendre ou basculer dans un autre régime. Enfin, si vous souhaiter louer en meublé, vous pourrez, en optant pour le statut Loueur meublé non professionnel (LMNP) et en choisissant le régime réel simplifié, amortir les travaux sur une durée allant, selon leur nature, de 5 à 25 ans. De quoi, là aussi, annihiler ou limiter l’imposition de vos revenus locatifs pendant de nombreuses années. A priori, c’est le dispositif le plus attractif des trois mentionnés, puisqu’il permet aussi d’amortir fiscalement la valeur du bien, permettant de ne pas payer d’impôt sur une période longue.