Pourquoi les contribuables doivent-ils s’inquiéter de la mise en place du prélèvement à la source

Le mardi 4 septembre au soir, le Premier ministre Edouard Philippe, peu à l’aise, a annoncé que le prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu entrerait bien en vigueur le 1er janvier prochain. Comme par miracle, les précisions apportées le matin même par Gérald Darmanin semblent lever tous les doutes. Malheureusement, cette décision est plus politique que réfléchie. Il s’agit de ne pas se déjuger vis-à-vis du grand public quitte à bricoler une usine à gaz qu’il aurait plutôt fallu démonter avant de la reconstruire. Car les imprécisions, les points de flottement et les incertitudes restent nombreux.
Le taux appliqué est-il juste ?
Tout d’abord, quoi que puisse prétendre Bercy, le secret vis-à-vis de l’employeur n’est pas totalement assuré. Ce dernier ne connait pas le montant exact ni la nature des revenus de son salarié mais la ponction qu’il doit réaliser tous les mois lui donne une bonne indication de sa situation financière. D’autre part, le contribuable est informé dans son avis d’imposition du taux qui lui sera applicable sans autre précision. Il n’a ainsi aucun moyen de vérifier qu’il s’agit du bon taux. C’est seulement un fois toutes les ponctions de l’année réalisées qu’il pourra calculer si le total prélevé correspond, en fonction du barème progressif, réellement à ce qu’il devait. Essayez aujourd’hui de voir si le taux annoncé pour les douze prélèvements effectués en 2019 correspond au montant de l’impôt que vous payez cette année. Vous aurez des surprises !!!
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Se pose également le problème des crédits et réductions d’impôt. Avant de tergiverser sur le maintien du prélèvement, Bercy avait déjà modifié ses règles en précisant que pour les emplois à domicile, les particuliers auront droit à une avance de 30 % du crédit d’impôt en début d’année sans préciser s’il correspond à celui octroyé l’année précédente ou si l’employeur doit informer le fisc en cours d’année qu’il continue à utiliser les services d’une femme de ménage, d’un jardinier ou d’un aide à domicile dans des conditions financières identiques.
Les placements de défiscalisation
Grâce certainement au lobbying des associations, fondations et conseils en placements, il devrait en être de même pour les dons et certains placements comme l’investissement Pinel avec une avance qui pourrait être de 60 %. Là encore pour les dons on s’interroge sur le montant qui donnera lieu à avance. Pour le Pinel c’est plus simple puisque l’avantage est lissé sur plusieurs années et le fisc connaîtra donc le montant de réduction correspondant à chaque année. Dans tous ces cas d’avance, on ne sait pas trop si le Trésor créditera directement votre compte en banque ou si, comme par miracle, votre prélèvement mensuel diminuera.
Enfin rien n’est dit pour tous les autres placements de défiscalisation (PME, FIP, FCPI, Sofica…). On ne sait pas non plus si les sommes déductibles du revenu (pensions diverses, versements sur un Perp, sur un Madelin, travaux monuments historiques…) seront prises en compte pour la détermination du taux du prélèvement, donneront lieu à une avance mais laquelle ou s’il faudra attendre la fin d’année pour déterminer votre cotisation réelle. Bref, c’est l’incertitude la plus totale.
Le gouvernement prétend également que le prélèvement s’adapte totalement à votre situation. C’est tout de même à vous qu’il appartiendra de signaler les changements et le fisc aura un délai de trois mois pour s’adapter. Un conseil : si vous partez à la retraite, il faudra comme c’est déjà le cas aujourd’hui anticiper et prévenir le fisc bien à l’avance de votre changement de situation. A condition d’avoir une idée précise des pensions que vous toucherez, de la date de leur versement et de leur montant. Ce qui n’est pas garanti.
Le cas des pensions de retraite, des CDD…
Car si j’étais retraité je m’inquiéterai beaucoup. On sait déjà que les caisses de retraite ont bien du mal à gérer les dossiers de leurs affiliés, retardant parfois de plusieurs mois le versement de leurs premières pensions, comme c’est le cas dans le Nord de la France. On peut être certain que pour effectuer les retenues à la source sur les pensions, le cafouillage sera également de mise.
Et on pourrait égrener ainsi les interrogations et les angoisses multiples des contribuables qui d’après les sondages gouvernementaux seraient à 60 % d’accord avec la réforme. Quid des personnes enchaînant les CDD avec des revenus très variables ? Que doivent faire les travailleurs frontaliers qui exercent leur activité à l’étranger et sont payés par une entreprise étrangère ? Comment tenir compte pour les bailleurs des pertes de loyers dans l’année et de l’éventuelle perception d’un nouveau loyer ?
C’est mettre la charrue avant les boeufs
En fait, tous les spécialistes s’accordent à penser qu’en voulant copier les autres pays pratiquant la retenue à la source depuis des décennies, le Gouvernement a mis la charrue avant les bœufs. Il fallait dans un premier temps simplifier notre très complexe impôt le revenu, uniformiser les taux applicables à toutes les sources de revenus, supprimer de nombreuses niches fiscales ou les aménager et seulement ensuite mettre en œuvre le prélèvement à la source. Mais non Bercy a décidé d’appliquer un système de perception d’impôt totalement inadapté à notre régime fiscal actuel. On peut donc craindre bien des dérapages. Il aurait été tellement plus simple de généraliser la mensualisation de l’impôt sur le revenu en l’adaptant plus souplement aux changements importants dans la situation du contribuable. Mais il est vrai que dans les têtes pensantes du ministère des finances le moteur de toute action se résume à l’adage « Pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ».