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« En 2008, les banques étaient la cause du problème, aujourd’hui elles veulent se positionner comme l’une des solutions »

Aude Lerivrain, responsable de l’analyse et de la stratégie crédit chez CPR AM, nous explique comment les banques françaises abordent la crise économique, quels sont leurs atouts pour l’affronter, et pourquoi certaines d’entre elles ont semblé rechigner à suspendre leur dividende.

Les banques françaises sont-elles en mesure de supporter le choc qui arrive ? Peut-on faire une comparaison avec la crise de 2008-2009 ?

Aude Lerivrain : La situation est très différente. La crise de 2008 était une crise financière provoquée par les banques qui a eu ensuite des répercussions sur l’économie réelle et sur les entreprises. Ce que nous vivons aujourd’hui est une crise économique dont les banques centrales ont pu éviter qu’elle ne se transforme en crise financière. En 2008, les banques étaient la cause du problème, aujourd’hui elles veulent se positionner comme l’une des solutions grâce à leur soutien à l’économie réelle.

Le renforcement de la réglementation bancaire sur les ratios de capitalisation et de liquidité au cours de la dernière décennie a fortement amélioré la solidité financière des banques françaises. Les assouplissements de cette réglementation accordés au cours des derniers jours peuvent en outre, tout en maintenant des règles prudentielles strictes, apporter aux banques des marges de manœuvre supplémentaires. Elles sont donc en mesure de supporter le choc qui se profile.

Avec la récession en cours en France et en Europe, quels sont les risques principaux que courent les banques ?

Aude Lerivrain : Les banques centrales ont permis par leurs actions massives d’éviter une crise financière. Le risque aujourd’hui pour les banques est inhérent à toute crise économique, à savoir une augmentation des créances douteuses.

A ce risque de crédit s’ajoute un risque de rentabilité car les provisions pour créances douteuses que les banques devront constituer affecteront négativement leur résultat. Enfin, et cela concerne surtout les banques d’investissement, l’obligation de comptabiliser les titres qu’elles détiennent au prix de marché pèse mécaniquement sur leur rentabilité quand les marchés baissent…

Il y a donc, à moyen terme, un risque de dégradation de la solidité financière des banques si la crise économique perdure et s’aggrave. Néanmoins, en cas de défiance à leur encontre, les banques sont assurées de pouvoir se financer auprès de la BCE et le risque de liquidité semble très faible.

Les banques américaines font d’énormes provisions, en sera-t-il de même pour les banques françaises ?

Aude Lerivrain : Tout à fait ! Au premier trimestre, les banques américaines affichent des provisions trois à cinq fois supérieures à celles des trimestres précédents, des provisions essentiellement liées au risque sur les cartes de crédit des ménages et au risque porté par les entreprises.

En Europe, c’est le risque de défaillance des petites et moyennes entreprises qui sera au centre des attentions. Les provisions seront indubitablement en hausse au premier trimestre, mais le seront encore plus au deuxième trimestre lorsque les banques auront davantage de visibilité sur la situation.

Pourquoi les banques françaises se sont-elles montrées réticentes à suspendre leurs dividendes ?

Aude Lerivrain : Elles craignaient peut-être que cela soit interprété comme un aveu de faiblesse, comme le signe qu’elles n’ont pas les reins assez solides, par rapport aux concurrents, pour faire face au choc.

Or, la plupart des banques sont beaucoup plus capitalisées, et leur situation de liquidité est beaucoup plus solide, qu’au moment des crises de 2008 et 2011. Le fait que la BCE ait demandé à l’ensemble des banques européennes de couper les dividendes supprime le risque de stigmatisation en leur ôtant en quelque sorte la responsabilité de cette décision. Cette dernière reste néanmoins difficile à prendre : certaines banques prévoyaient des augmentations de dividendes, sans doute bienvenues pour les actionnaires après les années de vache maigre engendrées par la crise financière et la crise souveraine européenne.

Toutefois, ce choc est clairement lié à la crise économique actuelle, qui est, espérons-le, temporaire. Il n’est en rien le reflet de quelconques failles dans le business model des banques aujourd’hui. Ces dernières sont diversifiées, et sont pleinement mobilisées pour soutenir leurs clients pendant la crise.