Héritage : des patients peuvent-ils faire un legs à leurs professionnels de santé ?
Léguer un héritage à un professionnel de santé nous accompagnant dans les derniers instants d’une maladie dont on décède est plus complexe qu’on l’imagine.

Peut-on être pleinement lucide lorsqu’on est atteint d’une maladie mortelle ? Et ainsi léguer un héritage à la personne qui nous a prodigué des soins avant de décéder ? Ce sont les questions qui se sont posées dans une affaire relayée par Le Monde. Dans ce cas précis, une femme veuve sans enfants a perdu la bataille contre le cancer. Sur le testament de la défunte, il est stipulé qu’environ un quart de son patrimoine, soit 870.000 euros, doit être versé à son infirmière qu’elle considérait « comme [sa] fille ». Le frère de la signataire, qui a lui hérité du reste des biens de sa sœur, soit un immeuble d’une valeur de 3 millions d’euros, conteste le droit de l’infirmière qui prodiguait depuis deux ans des soins à la malade « pour la maladie dont celle-ci est morte ».
Héritage et loi
Dans pareille situation, l’article 909 du Code civil instaure l’interdiction pour les personnels de santé d’accepter un héritage. Pourtant, lorsqu’elle assigne le frère de la défunte, l’infirmière gagne. D’abord en première instance, puis en appel. Etant donné qu’elle ne connaissait pas encore le diagnostic de son cancer au moment de la rédaction de son testament, les magistrats ont alors estimé que la signataire ne pouvait pas être sous emprise. En revanche, la Cour de cassation ne l’entendait pas de la même oreille, jugeant que « l’incapacité de recevoir un legs » n’avait pas de lien avec la date du diagnostic de la maladie du testateur.
L’infirmière a par la suite soulevé la question prioritaire de constitutionnalité devant la cour d’appel de renvoi. Aussi, l’article 909 du code civil est-il conforme à la Constitution étant donné que la personne malade est empêchée de disposer librement de ses bien, peu importe si elle est, ou non, en pleine possession de ses moyens. Une question qui avait déjà été soulevée au sujet de l’article L. 116-4 du code de l’action sociale et des familles, lequel empêchait les personnes âgées de faire un legs à leurs aides à domicile. Depuis, l’article a été abrogé au motif d’une atteinte « disproportionnée » à leur droit de propriété. Selon l’avocat de l’infirmière, il devrait en être de même pour les soignants, car être gravement malade ne renvoie pas à être complètement sénile. Autre son de cloche du côté de l’avocat du frère de la défunte.
Finalement, l’article 909 a été déclaré « conforme à la Constitution ». Car, « eu égard à la nature de la relation entre un professionnel de santé et son patient atteint d’une maladie dont il va décéder, l’interdiction est bien fondée sur la situation de vulnérabilité dans laquelle se trouve le donateur ou le testateur à l’égard de celui qui lui prodigue des soins », rapportent nos confrères. Le Conseil constitutionnel statue que « l’atteinte au droit de propriété qui résulte des dispositions contestées est justifiée par un objectif d’intérêt général et proportionnée à cet objectif ».